Les tribulations d'un ufologue au pays des boniments
Dernière mise à jour : 17 févr. 2023
Lors d’une conférence sur le thème des ovnis, à Epinal (Vosges), un responsable de structure associative organisant de micros évènements lança face à la dizaine de présents (dont 2 sceptiques assumés, ma compagne et moi) : « Comment prétendre vouloir expliquer mon observation, puisque seuls moi et ma compagne en avons été témoins ! Nous savons ce que nous avons vu, pas eux (les sceptiques) »
Il s’agissait d’une observation d’ovni(s) faite à Port Leucate. Selon la tirade précédente, le second témoin était sa compagne. Nous ne saurons rien de la part de cette dernière à ce sujet, ni à Epinal ni à Strasbourg, ni à Metz, lorsque cette observation fut relatée devant nous par le témoin principal que j’appellerai ici, "Monsieur M". Sur le net où elle est pourtant active (2018), je n’ai pas lu d’écrit non plus de la part de cette dame concernant cette observation.
Immédiatement le ton est donné : lui sait ce qu’il a vu, sa compagne aussi. Ce même, « je sais ce que j’ai vu » signifie pour celui qui le prononce, qu’il a observé quelque chose que personne ne pourra expliquer, voire plus simplement : un vaisseau spatial. Entrant dans les détails, notre homme à la diction difficile et aux phrases incongrues (le fil de la conférence fut décousu comme jamais) lança à la cantonade d’un ton autoritaire, voir agressif : « Et que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit de missiles ! Depuis quand l’armée tire des missiles en direction des terres ? »
Mais pour comprendre l’incongruité de cette phrase, il faut revenir en arrière. Voici le témoignage le plus ancien que j’ai pu retrouver publié et qui a été rédigé selon les dires du conférencier lui-même : « Monsieur M., fort de sa propre expérience. En vacances à Port Leucate, le 18 septembre 2007, il a vu deux objets en forme d’œuf disparaître à très grande vitesse. Leur passage a été signalé dans les minutes suivantes à Carcassonne, Toulouse et Bordeaux. Ancien gendarme, il a mené son enquête. Les autorités lui ont parlé d’essais de missiles… Il n’en croit pas un mot. »
Monsieur M. indiqua tour à tour, lors d’interviews, les années 2007 et 2008 concernant l’année de son observation à Port Leucate. En cherchant les dates des articles parus concernant ce cas sur le net et dans la littérature ufologique, j’ai lu cette même observation dans la revue « Spica » n° 9 de janvier 2007, p.24. Cependant, la description du phénomène est différente : « Pendant 4 à 5 secondes, deux témoins observent UN phénomène en forme d'œuf allongé de la moitié de la taille de la lune. Il avait une luminosité très pâle et ne faisait aucun bruit. Le phénomène était plus rapide qu'un avion de chasse ». Date et heure : lundi 18 septembre 2006 à 22h33.
Dans le "Monde de l’Inconnu", n° 342, p.32 et suivante, Monsieur M. déclare : « Le 18 septembre 2007, j'étais parti pécher de nuit à Port Leucate ». Plus loin : « J'étais assis sur mon siège pliable entre mes deux cannes quand sont apparues devant moi DEUX boules lumineuses de forme ovoïdes d'environ 3 mètres de diamètre. Elles ont soudain disparu. »
Dans le procès verbal de gendarmerie qui figure en annexe du cas dans le site du GEIPAN il est indiqué :
« (le témoin) se trouvait sur la plage de la résidence « le mas de la plage », village naturiste, au lieu-dit Grau de Leucate. Il se trouvait avec un jeune homme dont les parents souhaitent qu'il conserve l'anonymat ». (Le jeune était mineur au moment de l’observation relatée).
Erreurs dans l’année de l’observation, descriptions différentes du phénomène et enfin le second témoin est tantôt son épouse, tantôt un jeune garçon dont les parents, à l’époque, n’ont pas voulu qu’il témoigne. Mais, ce n’est pas fini !
Toujours ans « Le Monde de l'Inconnu » n° 342, le témoin principal s'est rendu à la Gendarmerie pour y faire une déclaration, puis il rentra chez lui et consulta le sémaphore de Leucate.
Or, la lecture du procès-verbal de gendarmerie montre que ce sont les gendarmes qui ont interrogé le sémaphore .
Encore une différence donc.
Le témoin rapporte aussi que les gendarmes auraient eu vent d'autres observations à cette date à Carcassonne, Toulouse et Bordeaux. Il précisa même que ces observations eurent lieu 17 minutes plus tard ! Or, le procès-verbal de gendarmerie indique : « L'apparition décrite par Mr..... n'a pas été signalée par d'autres témoins ».
Malgré de nombreuses recherches, la consultation de plusieurs dizaines de revues spécialisées sur le sujet, de très nombreuses coupures de presse mais aussi d’ufologues et de structures associatives des secteurs concernés, je n’ai rien trouvé sur ces observations qui se seraient produites peu après !
Le rapport d'UFOCOM (structure n'existant plus de nos jours) indique que le jeune homme qui était présent lors de l’observation était âgé de 14 ans, ce qui explique la demande d'anonymat. « Il confirmerait » la déclaration de Monsieur M. ... Ce conditionnel me semble bien justifié.
Dans la case « nombre d’objet » du rapport d’UFOCOM : il est noté 1 ou 2 ! Passons sur les différentes estimations de taille apparente (moitié de la lune, 3 mètres de diamètre, grosses comme le poing). Lors de ses diverses déclarations le témoin indiqua que les objets étaient passés au-dessus de sa tête et qu’ils allaient vers l'intérieur des terres. Il a aussi indiqué aussi SO vers NE et également que le phénomène a disparu en plein brouillard au-dessus de la mer. Je n’ai pas vu de dessin de la trajectoire sur plan par le témoin et je ne parviens pas, en fonction de ce qui précède, à comprendre le déplacement du phénomène en regardant une carte. Lors de sa conférence à Epinal, il indiqua « vers la terre ».
Tout ce qu’il pourra donner maintenant comme précision a posteriori de la présente publication n’aura aucune valeur donc, les précédentes relations du phénomène n’en ayant déjà plus beaucoup tant elles sont pour le moins différentes. Je n'ai pas fait d'enquête approfondie sur ladite observation. Je m’y étais pourtant engagé après que le témoin m’ait fait son récit à Strasbourg où ma compagne et moi étions allés présenter le travail du SCEAU (Service de Conservation et d’Etudes des Archives Ufologiques). J’ai d’ailleurs enregistré cela de la part de ce témoin : « Nous avons vu des hélicoptères ce soir-là, tous allaient dans la même direction, sauf ces deux boules ! Ce ne pouvait donc pas être des hélicoptères ! ». A cela il ajouta cette description : « des boules lumineuses, grosses comme le poing, s’éloignant vers la mer ! ».*
Je pensais vérifier l’hypothèse des manœuvres (le témoin lui-même y ayant fait allusion) et en quoi elles avaient consisté. J’ai pensé qu’il pouvait s’agir de leurres destinés à tromper les missiles. Les leurres peuvent être tirés depuis des paniers intégrés sur la structure d’avions ou d’hélicoptères. Ceci étant, je ne peux affirmer que cette hypothèse soit la bonne puisque je ne suis pas allé plus loin. J’ai également pensé à des météores arrivant dans la haute atmosphère en une trajectoire rasante et pouvant « ricocher » et donner l’impression visuelle décrite par le témoin Monsieur M.
Hélas, assez rapidement, j’ai constaté les différences qu’il apportait à son observation de Port Leucate notamment lorsqu’il me hélait un peu partout sur le net, en exigeant que je lui explique ce qu’il avait vu. Selon lui, je lui aurais dit savoir de quoi il s’agissait tout en me gaussant bruyamment. Je m’étais donc désintéressé de la chose, sans lui en vouloir de son interprétation négative sur mon silence à ce sujet. Cependant, cela a tout de même sonné chez moi comme une alerte et j’ai commencé à regarder de plus près les écrits de Monsieur M. Je me suis rendu compte qu’il « pataugeait » également sur des cas ufologiques pourtant très connus. Par exemple, il a inversé les noms et l’état civil des témoins des cas de Valensole et de Trans-en-Provence. Il généra à ce propos une polémique totalement inutile sur une liste discussion où je ne suis pas inscrit mais dont j’ai reçu une copie, critiquant violemment un internaute ayant participé à la rédaction d’un article dans la revue « Science et Inexpliqué ». Monsieur M. s’insurgeait du fait que l’internaute avait harcelé la veuve d’un témoin décédé. Il s’était trompé de cas et le défunt ne l’était pas. Du coup sa veuve ne l’était pas non plus et c’est d’ailleurs réjouissant pour ce couple et leurs proches.
Un autre cas de prise de liberté avec la réalité par ce même monsieur me vient à l’esprit, c’est celui des jeunes gens qui ont été pris en-train de faire voler un drone au-dessus du plan d’eau à proximité immédiate de la Centrale de Belleville-sur-Loire. Selon Monsieur M. celui-ci se serait entretenu avec le détenteur du drone volant (un autre étant aquatique) qui lui avait assuré que le plan d’eau n’était qu’un tout petit étang lui appartenant. Or, il s’agit de l’étang intercommunal des Grèves d’environ 14 hectares. Comme j’ai souligné cette « anomalie », l’ufologue-conférencier-témoin a indiqué qu’il s’était juste trompé en indiquant « étang privé ». Non, il ne s’est pas juste trompé sur ça. Il voulait convaincre que les jeunes gens pris en flagrant délit de faire voler un drone dans une zone interdite n’avaient rien à voir avec les prétendus survols de centrales nucléaires. Remarquez que lui et ses collègues-amis ufologues préfèrent utiliser le néologisme « drovni » pour bien faire comprendre qu’ils sont en désaccord avec l’explication drones de certains survols allégués. Il argumentait à l’époque qu’aucun détenteur de drone n’avait été pris en flagrant délit à côté d’une telle installation et il cherchait à minimiser l’affaire de Belleville. Je m’interroge aussi sur comment il a pu s’entretenir avec le détenteur du drone puisque son nom, à ma connaissance, n’a jamais été communiqué par la presse, ni par la gendarmerie, ni par la mairie, ni par l’aérodrome fréquenté par le jeune homme. Mais j’admets que ce n’est pas impossible.
J’ai bien d’autres exemples mais il ne sert pas à grand-chose de les énumérer. Lorsque l’ufologue-conférencier-témoin est mis face à ses erreurs, il répond dans le meilleur des cas : « m’en fous » ou encore « c’est un détail » ou fait une vidéo avec une grosse colère au cours de laquelle il insulte, injurie, dénigre, mettant mal à l’aise toute personne ayant un minimum de savoir-vivre et de respect pour les autres. Je pense qu’il n’est plus crédible pour la majorité des gens qui s’intéressent à l’ufologie. Je tiens tout de même à préciser que si j’écris ces lignes, c’est pour montrer à quel point il travestit la réalité particulièrement quand il en veut à quelqu’un. Il affirme par exemple haut et fort que je ne me suis moqué de lui par rapport à son observation de Port Leucate. Selon lui j’ai hoqueté de rire en entendant son récit. Vous pensez bien que si tel avait été le cas, les convives présents au repas ufologique n’auraient pas hésité à le faire savoir ! Mais plus important, je ne me moque (jamais) pas des témoins d’une part, et je ne vois pas ce qui aurait pu provoquer mon hilarité à cette observation d’autre part.
Cette observation est perdue pour la casuistique car elle est noyée dans des faits inventés et/ou relatés différemment par le témoin-narrateur. Fâché pour une raison que je continue à ne pas comprendre puisque ce qu’il me reproche est simplement faux, il est allé jusqu’à oublier que j’étais allé à Strasbourg (près de 300km AR), après ma journée de travail, présenter le travail du SCEAU, et a osé dire à l’un des responsables de ladite association que je la dénigrais. Heureusement il n’a pas été cru, car sur le net j’avais antérieurement défendu avec acharnement les buts et le travail effectués par le SCEAU. Face à cette énormité, il a été dans l’obligation de reconnaître que je n’étais pas l’auteur des propos qu’il m’attribuait, mais ne m'a présenté aucune excuse.
Dans ses speechs Monsieur M. reconnaît parfois exagérer les faits qu’il présente mais estime que ce n’est pas important. Pourtant, si ce n’est pas important pour lui, c’est important pour l’ufologie et/ou pour les personnes qu’il met en cause en des termes souvent orduriers. Comment des ufologues peuvent-ils lui faire confiance ? Je me le demande. Je me le demande d’autant plus que certains de ses suiveurs, devant l’évidence, déclarent que même si ce qu’il dit est faux, ils le soutiendront.
Quelle belle image de sérieux !
Dans le passé les échanges s’effectuaient la plupart du temps par courriers postaux, quelquefois par téléphone (ou le minitel plus tard) et dans quelques articles qui paraissaient dans des revues dédiées à faible tirage. Peu d’attaques ad personam ou alors de personne à personne et non pas publiquement. De nos jours, des menaces publiques sur le net sont hélas monnaie courante. Certaines de celles-ci sont mises à exécution et relèvent du domaine de la justice. Des plaintes sont déposées et des procès surviennent. L’ufologie privée est devenue un champ de bataille, ruinant le peu de sérieux qu’elle aurait pu récupérer après le creux des années 80/90 suite à des affaires qui n’en étaient pas (Cf. par exemple l’affaire de Cergy Pontoise**). C’est principalement l’égo démesuré de certains qui a fait retourner l’ufologie à un état piteux, mais ce n’est pas grave car ce domaine d’activité est bien peu important en regard des problèmes de ce monde comme je l’ai exprimé précédemment.
Je me demande également si la désespérance, que certains ressentent et qui vient de se concrétiser au moment où j’avais écrit ces lignes, par le mouvement des gilets jaunes, n’inciterait pas quelques-uns à penser que seule une intervention exogène pourrait améliorer les choses.
En relatant ces quelques exemples, je voudrais que la jeune génération qui s’intéresse aux PAN sache que l’ufologie privée est un monde particulier, dans lequel peut régner une certaine violence, et pas seulement de façon virtuelle.Si je suis encore dans ce domaine c’est que mon questionnement sur le phénomène ovni reste encore important et atténue l’impact de ces agissements délétères. Par ailleurs, j’ai l’honneur de côtoyer des enquêteurs et/ou des passionnés qui ne situent pas leur intérêt au niveau de la notoriété qu’ils pourraient obtenir par quelque moyen que ce soit dans ce microcosme. Au contraire, ils me font bénéficier avec humilité de leurs savoirs, de leur culture, de leurs recherches, de leurs documents et je leur en suis infiniment reconnaissant.Il n’est donc pas question de « camp » à choisir, de choix binaire à faire, mais de s’appuyer sur des personnes fiables, honnêtes et désintéressées et qui, si elles ont des convictions, ne les font pas passer à toute force devant la réalité des choses.
La leçon de tout cela serait de prendre conscience que personne n'a la solution du phénomène, que chacun a le droit de douter ou de croire mais personne n'a celui de tromper, de mentir voire pire. Qu'il existe des cas inexpliqués, personne et encore moins les sceptiques n'en doute, mais inexpliqués ne veut pas dire inexplicables à terme. En outre si l'ufologie privée recèle de cas inexpliqués c'est tout bêtement parce qu'ils sont en réalité inexploitables. Alors pourquoi mentir, embellir les faits ?
Ufo l'Savoir non ?
(Francine Cordier-Seray et Patrice Seray)
* Tout au plus cette description pourrait faire penser à l'ISS et sa navette. Piste restant à creuser.
** Voir l'opus Hors série "Retour sur l'affaire de Cergy-Pontoise" Collectif chez lulu.com : https://www.lulu.com/fr/shop/collectif/ovni-retour-sur-laffaire-de-cergy-pontoise/paperback/product-19kpkerw.html?page=1&pageSize=4
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